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dialogo interreligioso
sur le dialogue et les
relations avec les autres religions
Au Comité du programme pour décision Le présent document soumet à votre étude et à votre réflexion des lignes directrices et des considérations pratiques sur les relations et le dialogue interreligieux. Il a été rédigé pour répondre à un besoin, celui de revoir les « Lignes directrices sur le dialogue avec les religions et idéologies de notre temps », adoptées par le Conseil œcuménique des Eglises en 1979. Cette révision fait le point de ce qui a été accompli ou tenté au cours des 23 dernières années et aborde quelques préoccupations actuelles. Un colloque s’est tenu à Bose (Italie) du 4 au 8 octobre 2001 pour entreprendre la révision de ce document. La présente version a été établie par le Groupe consultatif sur les relations et le dialogue interreligieux, qui s’est réuni en Suède du 8 au 12 mai 2002. Il est soumis ici à votre attention. 1. Depuis ses débuts, l’Eglise confesse que Dieu réconcilie le monde avec lui-même au travers du Christ Jésus. Tout au long de son histoire, l’Eglise a cherché à comprendre ses principaux dogmes et à les appliquer aux situations concrètes dans lesquelles elle se trouvait. L’Eglise primitive a dû constamment repenser la conception qu’elle se faisait d’elle-même lorsque, issue de la tradition juive, elle est devenue une Eglise de juifs et de gentils et qu’elle est ensuite sortie du cadre gréco-romain pour gagner d’autres cultures et régions du monde. Aujourd’hui, l’Eglise est constamment appelée à donner à ses membres les moyens d’être en relation avec des fidèles d’autres traditions religieuses et de vivre en témoins auprès d’eux. 2. Fidèle à cette vision, le Conseil œcuménique des Eglises a élaboré à Chiang Mai en 1979 les « Lignes directrices sur le dialogue avec les religions et idéologies de notre temps ». Nous confirmons l’utilité de ces lignes directrices, qui ont été largement diffusées et reçues par les Eglises. Cependant, forts maintenant de 30 années d’expérience dans le domaine des relations et du dialogue interreligieux, nous pouvons aller plus loin en nous inspirant de ce que nous avons réalisé ou tenté de réaliser. Depuis Chiang Mai, le mouvement œcuménique a pris des mesures importantes pour faciliter les relations et le dialogue interreligieux, et fait ainsi naître l’espoir que ses efforts porteront leurs fruits. 3. Depuis quelques années, des Eglises membres réclament de nouvelles lignes directrices sur les relations et le dialogue interreligieux, qui soient adaptées au contexte actuel. Plus que jamais, nous éprouvons la nécessité non seulement de dialoguer avec des fidèles d’autres religions, mais aussi de nouer de vraies relations avec eux. Une conscience plus aiguë du pluralisme religieux, le rôle potentiel de la religion dans les conflits et la place de plus en grande qu’elle tient dans la vue publique posent des questions qui, par leur caractère d’urgence, appellent les fidèles des diverses religions à mieux se comprendre et à coopérer davantage. 4. Nous plaçant dans une perspective mondiale, nous nous adressons, nous chrétiens de diverses traditions, aux Eglises membres. Nous espérons que les Eglises locales étudieront ces lignes directrices, en discuteront et les adapteront à leur contexte propre. Ce faisant, les chrétiens devraient chercher à aller plus loin et à définir, en coopération et en accord avec leurs voisins d’autres traditions religieuses, des lignes directrices sur les relations et le dialogue qui soient éclairantes et instructives pour tous et leur permettent de décider de se faire confiance désormais et de tisser des liens communautaires. Les relations et le dialogue interreligieux aujourd’hui 5. Plus conscient de la pluralité des religions, on ressent davantage la nécessité d’améliorer les relations et le dialogue entre religions différentes. Avec la mobilité accrue des populations, les grands mouvements de réfugiés et les migrations économiques, les fidèles de religions différentes sont plus nombreux à vivre côte à côte. Les mécanismes de dialogue et de rencontre, là où ils existent, permettent de favoriser une meilleure connaissance des autres religions et une plus grande sensibilité des unes aux autres. Malheureusement, la multiplication des relations entre communautés est parfois source de tensions et de peurs. Au vu de ces tensions, de nombreuses communautés jugent d’autant plus nécessaire de sauvegarder leur identité propre et leur caractère distinctif. Les relations et le dialogue interreligieux devraient leur permettre de faire la distinction entre la recherche légitime de leur identité et une attitude exagérément protectrice, qui rend hostile aux autres religions et cultures. 6. Lorsque le pluralisme religieux crée des tensions entre communautés, le risque d’exploitation des sentiments religieux n’est pas loin. La religion touche au plus profond des sentiments et des sensibilités, des individus comme des communautés ; elle est porteuse d’une mémoire historique très profonde et fait souvent appel à une solidarité confessionnelle absolue. La religion apparaît parfois comme une cause de conflit alors qu’en fait elle serait plutôt un facteur d’aggravation des conflits. Les relations et le dialogue interreligieux ont pour objet d’éviter que la religion ne soit instrumentalisée et de donner aux fidèles la possibilité de faire ensemble œuvre de guérison et de réconciliation. 7. Trop souvent, l’identité religieuse joue un rôle dans les conflits et la violence. Dans certaines régions du monde, le religieux étant de plus en plus assimilé à l’ethnique, les conflits ethniques prennent des connotations religieuses. Il arrive aussi que l’identité religieuse soit si étroitement liée au pouvoir que les communautés sans pouvoir ou faisant l’objet de discriminations voient dans leur religion une force capable de mobiliser les dissidents et protestataires. Ces conflits ont tendance à apparaître comme des conflits entre communautés religieuses ou sont présentés comme tels, la polarisation se faisant en fonction de critères communautaires. Les communautés religieuses héritent souvent de divisions profondes, de haines et d’inimitiés qui leur viennent, dans la plupart des cas, de générations de conflits. Lorsqu’elles s’identifient ou sont identifiées exclusivement par leur religion, la situation devient explosive et peut même déchirer des communautés qui ont vécu en paix pendant des siècles. Il appartient aux relations et au dialogue interreligieux de contribuer à éviter que la religion ne devienne la ligne de faille entre communautés. 8. Jamais on ne s’est autant efforcé au niveau mondial de prévenir la polarisation entre communautés religieuses. Avec les médias, on a tendance à percevoir le conflit qui fait rage dans un endroit comme un élément d’un conflit se produisant ailleurs, de sorte que les inimitiés qu’il peut y avoir dans une région du monde gagnent les autres. Un acte de violence commis ici sert à confirmer là-bas le stéréotype de « l’ennemi », voire même à provoquer des attentats en représailles, ailleurs dans le monde. Il faut donc « dé-mondialiser » les situations de conflit et analyser chacune d’elles dans son contexte propre. Le fait d’insister sur la spécificité de chaque contexte ne devrait pas empêcher les croyants d’autres parties du monde de se sentir touchés et concernés. Un engagement interreligieux en un lieu peut en fait se révéler ailleurs un apport essentiel au renforcement de la paix et à la réconciliation. 9. Dans bien des pays, la religion tient de plus en plus de place dans la vie publique, ce qui devrait amener une entente et une coopération plus grandes entre religions. Les institutions gouvernementales et non gouvernementales appellent les responsables religieux à se prononcer sur des questions morales intéressant le public. Toutefois, pour parler collectivement et avec quelque autorité morale, les communautés religieuses doivent dégager leurs valeurs communes, décider dans quelle mesure elles peuvent s’exprimer d’une seule voix et discuter des moyens à employer pour éviter de se faire manipuler par des forces politiques. Comment aborder le pluralisme religieux 10. En rencontrant des voisins d’autres traditions religieuses, de nombreux chrétiens ont pris conscience de ce que signifie former une « humanité commune » devant Dieu. Cette expérience est enracinée dans l’affirmation biblique selon laquelle Dieu est le Créateur de toutes choses et maintient la création en vie. « Au Seigneur, la terre et ses richesses, le monde et ses habitants ! » (Ps 24,1). Dieu a appelé le peuple d’Israël à être son témoin parmi les nations, tout en s’affirmant comme le Dieu de toutes les nations (Ex 19,5-6). Les visions eschatologiques de la Bible anticipent le rassemblement de toutes les nations et la restauration de la création dans cette plénitude que Dieu veut pour tous. Cette conviction se reflète dans l’affirmation selon laquelle Dieu n’a jamais cessé de donner des témoignages en tout temps et à tout peuple (Ac 14,17). 11. Lorsqu’ils sont en relation avec des fidèles d’autres religions, les chrétiens doivent avoir conscience de l’ambiguïté de l’image que projettent les religions. Si les traditions religieuses s’expriment au travers de la sagesse, de l’amour, de la compassion et de la vie des saints, elles ne sont pas à l’abri de la folie, de la méchanceté et du péché. Les traditions et institutions religieuses soutiennent parfois des systèmes d’oppression et d’exclusion ou fonctionnent comme tels. Tout examen impartial des traditions religieuses doit tenir compte de leur incapacité d’accorder leurs actes à leurs plus nobles idéaux. Les chrétiens, tout particulièrement, savent que l’on s’est servi de leur tradition religieuse – l’histoire en témoigne - pour déformer le sens même de l’Evangile qu’ils sont appelés à proclamer. 12. En tant de témoins, nous abordons les relations et le dialogue interreligieux en étant attachés à notre foi. La foi en le Dieu trinitaire est au cœur de la foi chrétienne. Nous affirmons que Dieu le Père est le Créateur de toutes choses et que la création lui doit chaque instant de sa vie. Nous plaçons la vie, la mort et la résurrection de Jésus Christ au centre de l’œuvre rédemptrice de Dieu pour nous et pour le monde. L’Esprit Saint nous confirme dans cette foi, nous insufflant une vie nouvelle et nous guidant jusqu’à la vérité totale. 13. Nous avons la conviction d’être appelés à témoigner dans le monde de l’œuvre de guérison et de réconciliation de Dieu en Christ. Nous le faisons en toute humilité, en reconnaissant ne pas comprendre totalement les voies par lesquelles l’œuvre rédemptrice de Dieu sera menée à son accomplissement. Nous ne voyons que de façon confuse, comme dans un miroir, parce que notre connaissance est à présent limitée et que nous ignorons en partie ce que Dieu nous réserve (cf. 1 Co 13,12-13). 14. Bien des chrétiens ont de la peine à comprendre ce que signifie l’existence des autres traditions religieuses ou à établir un rapport constructif avec elles. Cependant, en tant que chrétiens, nous croyons que l’Esprit de Dieu est à l’œuvre de manières qui dépassent notre entendement (cf. Jn 3,8). L’action de l’Esprit ne se laisse pas enfermer dans nos définitions, nos descriptions, nos limites. Nous devrions chercher à discerner la présence de l’Esprit là où il y a « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5,22-23). L’Esprit de Dieu gémit avec notre esprit. Il œuvre à la rédemption de tout l’ordre créé (Rm 8,18-27). 15. Nous sommes témoins dans un monde dont Dieu n’est pas absent et auprès de personnes qui ont quelque chose à dire sur Dieu. Ceux et celles que nous rencontrons ont leur vie réglée et nourrie par une religion dans laquelle ils se sentent à l’aise. Nous témoignons auprès d’eux dans un esprit et avec une spiritualité éclairés par notre foi chrétienne. Les chrétiens doivent s’ouvrir au témoignage que rendent les autres non seulement en paroles, mais aussi par leurs actes de fidèles, leur dévotion à Dieu, leur service désintéressé et leur engagement vécu dans l’amour et la non-violence. 16. Notre témoignage est fait de repentance, d’humilité, d’intégrité et d’espérance. Nous savons combien il nous est facile de mal interpréter la révélation de Dieu en Jésus Christ, de la trahir par nos actes et de nous présenter comme les détenteurs de la vérité divine plutôt que comme les réceptacles indignes de la grâce. La spiritualité, le dévouement, la compassion et la sagesse que nous voyons chez les autres ne nous laissent guère le loisir de prétendre à la supériorité morale. Attendant la liberté que Dieu veut pour toute la création (Rm 8,19-21), nous ne pouvons que faire connaître aux autres notre expérience et notre témoignage propres et les écouter en même temps exprimer leurs convictions et leurs intuitions les plus profondes. 17. Le dialogue et les relations avec les autres religions nous ont fait comprendre que nos affirmations théologiques n’épuisent pas le mystère du salut divin. Le salut est à Dieu.
C’est
pourquoi nous n’avons pas la témérité de juger les autres. Tout en
témoignant de notre propre foi,
nous
cherchons à comprendre par quels moyens Dieu entend mener ses desseins
à leur accomplissement.
Le salut est à Dieu.
C’est
pourquoi nous nous sentons capables d’assurer à nos interlocuteurs que
nous venons non pas en manipulateurs,
mais en
compagnons, comme eux à la recherche de la vérité dans sa plénitude.
Le salut est à Dieu.
C’est
pourquoi nous confessons avec confiance cet élément de la foi
chrétienne. Nous ne sommes pas privés de conseils en ce sens :
« Soyez
toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en
demandent compte (1 Pierre 3,15).
Ce faisant,
nous luttons et travaillons avec d’autres parce que témoigner, pour
les chrétiens,
c’est aussi
apporter la réconciliation et l’intégralité à un monde déchiré par les
rivalités et les guerres,
les
disparités sociales et les injustices économiques.
Principes directeurs 18. Le dialogue doit être un processus d’habilitation mutuelle, pas une négociation entre parties ayant des intérêts et des revendications contraires. Plutôt que de s’enfermer dans des rapports de force, les partenaires engagés dans le dialogue devraient être habilités à participer à une recherche commune de la justice et de la paix et à une action constructive pour le bien de tous les êtres humains. 19. Dans le dialogue, nous progressons dans la foi. Le fait de participer au dialogue amène les chrétiens à revoir constamment leur conception de la tradition biblique et théologique. Le dialogue pousse toutes les communautés à procéder à leur autocritique et à repenser leur manière d’interpréter leurs traditions religieuses. Le dialogue transforme l’expérience de la foi et aide ceux et celles qui y participent à approfondir leur foi et à faire des progrès inattendus dans leur vie de croyants. 20. Dans le dialogue, nous affirmons notre espérance. Malgré la multitude des divisions et des conflits, malgré la violence ambiante, il y a l’espérance qu’il est possible de créer une communauté humaine vivant dans la justice et la paix. Le dialogue n’est pas une fin en soi. C’est un moyen de jeter des ponts, à force de respect et de compréhension. C’est une affirmation joyeuse de la vie pour tous. 21. Dans le dialogue, nous cultivons les relations. Le but de tout dialogue est en définitive de tisser des liens avec « les autres », ou avec ceux que l’on qualifie comme tels. Cependant, ces liens ne sont pas faciles à tisser ; c’est une entreprise de longue haleine. Aussi la patience et la persévérance sont-elles essentielles dans la pratique du dialogue. La ténacité, la volonté de poursuivre, même lorsque les fruits se font attendre, est l’une des qualités indispensables au dialogue. 22. Dans le dialogue, le contexte doit nous éclairer. Le dialogue se déroule dans un contexte bien précis. Il est essentiel d’être conscient de données telles que l’expérience historique, la conjoncture économique et les idéologies politiques. De plus, les différences liées à la culture, au sexe, à la génération, à la race ou à l’ethnie influent aussi de manière non négligeable sur la nature et le style des relations. Le but du dialogue, dès lors que le contexte est pris au sérieux, n’est pas de les abolir ou de les fuir, mais de bâtir des relations de confiance par delà ces différences. 23. Dans le dialogue, nous tendons au respect mutuel. Il incombe aux partenaires d’entendre et d’écouter les autres pour comprendre quelle conception ils ont de leur propre foi. La confiance naît lorsqu’on laisse ses partenaires se définir librement, lorsqu’on s’abstient de tout prosélytisme et que l’on crée des occasions de questionnement mutuel dont ne sont pas exclues, au besoin, les critiques justifiées. De telles pratiques permettent aux interlocuteurs de se comprendre en se connaissant, ce qui est la base de toute relation. 24. Dans le dialogue, il est important de respecter l’intégrité des traditions religieuses dans la diversité de leurs structures et organisations. Il est tout aussi important de comprendre comment les participants au dialogue définissent leur rapport à leur communauté. Certains affirment leur droit et leur devoir de parler en son nom. D’autres choisissent de parler de leur expérience propre. 25. La coopération et la collaboration sont au centre du dialogue. Tous les partenaires impliqués doivent être associés au processus de planification dès le début. Il est utile d’établir l’ordre du jour ensemble car, ainsi, tous les partenaires se l’approprient et sont parties prenantes à la bonne marche du dialogue. A cette fin, il est essentiel de fixer des objectifs clairs, de convenir ensemble des critères de participation et de faire régulièrement le point. 26. Essayons de n’exclure personne du dialogue, car celui-ci peut facilement devenir une activité élitiste et ne toucher que certaines couches de la société. Veillons à ce qu’il ait lieu à différents niveaux, entre différents groupes et porte sur des sujets intéressant tous les segments de la communauté. Quelques considérations pratiques 27. Même animés des meilleures intentions du monde, individus et communautés peuvent rencontrer des problèmes et des difficultés dans les relations et le dialogue interreligieux. Parfois, l’appel au dialogue se heurte aux hésitations, à la méfiance, à l’indifférence ou à l’opposition, tant de la communauté elle-même que des autres communautés religieuses. Parfois, les relations interreligieuses engendrent des attitudes qui tranchent avec les valeurs inhérentes à la culture et à l’éthique du dialogue. Parfois, les résultats à attendre du dialogue ne semblent pas des motifs suffisants pour y participer. De plus, d’autres problèmes, comme ceux qui sont apparus lors de discussions récentes, invitent à la prudence et à la réflexion. 28. On attend souvent du dialogue qu’il apporte des solutions à des conflits politiques ou intercommunautaires là où la religion semble être un facteur de dissension. Lorsque le dialogue est incapable de désamorcer le conflit, son utilité dans l’édification de la paix est remise en question. Il faut se souvenir que le dialogue interreligieux n’est pas en soi un instrument capable de résoudre instantanément les problèmes en situation d’urgence. Les contacts, les précieuses relations de confiance et d’amitié tissées au fil d’un dialogue patient entre personnes de religions différentes en temps de paix peuvent, en période de conflit, empêcher que la religion ne soit employée comme arme. Dans bien des cas, ces relations peuvent préparer la voie à des initiatives de médiation et de réconciliation. En période de tension intercommunautaire ou au plus fort de la crise, les contacts établis par delà la fracture communautaire peuvent se révéler inestimables pour le rétablissement de la paix. 29. Bien que le dialogue soit par définition une rencontre directe, il y a, des deux côtés, des participants invisibles. Nos interlocuteurs nous tiendront souvent responsables de ce que d’autres chrétiens auront fait ou négligé de faire, dit ou négligé de dire. A certains égards, cela est inévitable et parfois même compréhensible, et nous savons bien qu’il peut exister de profonds désaccords à l’intérieur d’une même religion et que les lignes de fracture ne passent pas toujours entre communautés religieuses, mais bien souvent à l’intérieur de ces communautés. Les divergences peuvent être non seulement théologiques mais porter aussi sur des questions sociales, politiques ou morales. Certaines de ces questions peuvent, pour diverses raisons, nous opposer à des personnes qui partagent pourtant la même foi que nous. Nous nous apercevons que les communautés religieuses en présence ne sont pas des blocs monolithiques. Il ne faut ni ignorer ni étouffer la pluralité des positions de chaque côté en défendant ce qu’on perçoit comme l’intérêt de sa propre communauté. Etre fidèle à sa religion, ce n’est pas s’identifier à tout ce qui est fait ou n’est pas fait en son nom. Nous ne devrions donc pas être sur la défensive, mais garder confiance dans le pouvoir du dialogue de corriger des opinions ou des préjugés bien ancrés. 30. Dans bien des communautés religieuses, on peut rencontrer des personnes qui semblent tenir avant tout à développer leur communauté par diverses formes de mission, y compris le prosélytisme. Elles semblent peu s’intéresser au dialogue ou risquent de le subordonner à leurs desseins missionnaires. Cela peut décourager les personnes désireuses d’établir le dialogue. Leur déception les empêche souvent de repérer dans leur communauté ceux et celles qui n’approuvent pas cette attitude. Il est essentiel de rechercher résolument de tels partenaires pour étudier les moyens de rétablir la crédibilité d’un dialogue permettant à des personnes ayant des positions divergentes de discuter ouvertement, dans un esprit de respect mutuel, des questions qui divisent. 31. Le dialogue, comme la vie, prend des formes diverses. Aucune n’est meilleure que les autres et nous devons nous attacher, non pas à nous conformer à une hiérarchie ou à un modèle préétabli de dialogue, mais à répondre aux besoins, en faisant ce qu’il est possible de faire. Dans certains contextes, il est plus facile de discuter de différences « culturelles » que de différences « religieuses », même si sont abordées dans ce contexte des questions de pratique religieuse ou des sujets d’intérêt religieux. De même, la coopération sur le terrain social peut être possible et même trouver de chauds partisans là où l’on hésite à envisager un dialogue sur des questions théologiques. 32. Les motivations du dialogue sont parfois conditionnées par les rapports de force entre communautés religieuses et par l’importance, objective et subjective, des disparités numériques. Dans de nombreux pays, différentes communautés religieuses parlent la même langue et ont souvent la même culture. Souvent, leurs membres sont censés jouir des mêmes droits civils et politiques au regard de la loi. Mais des pratiques discriminatoires exacerbent la méfiance et aggravent la division. Des identités confessionnelles ancrées dans les traditions communautaires, alliées à certaines politiques publiques, peuvent amener des communautés à se considérer mutuellement comme une menace. C’est particulièrement vrai en période de changement et d’incertitude. Le dialogue interreligieux ne peut pas fermer les yeux devant les effets de rapports de force inégaux et de l’image que chaque communauté a de l’autre, même si elle est très déformée. L’utilité des initiatives de dialogue dépend dans une large mesure des efforts faits intentionnellement pour dissiper les peurs et les soupçons entre ceux qui apparaissent comme les représentants de leurs communautés religieuses. De même, il est essentiel que le dialogue interreligieux permette de renforcer les loyalismes interconfessionnels en recherchant toujours avant tout, dans la discussion et l’action commune, le bien commun et une participation politique aussi large que possible. 33. De nombreux chrétiens ont pris l’habitude de participer à des prières multireligieuses. Il ne manque pas dans la vie quotidienne d’occasions de rencontre avec d’autres religions. Les mariages mixtes, les amitiés personnelles, les prières en commun dans une même intention, la paix ou la fin d’une crise, en font partie. Mais l’occasion peut être aussi une fête nationale, une fête religieuse, une réunion d’école et d’autres rassemblements dans le contexte des relations et du dialogue interreligieux. Les prières entre fidèles de religions différentes peuvent revêtir des formes diverses. Là où ils sont invités dans d’autres lieux de culte, les chrétiens se montreront respectueux des pratiques de cette tradition. S’ils invitent des fidèles d’une autre religion à un service de prière, ils se montreront des hôtes accueillants. La prière multireligieuse est une juxtaposition de prières de différentes traditions. Elle a l’avantage de rendre compte de la diversité et de l’intégrité de chaque tradition et de nous faire prier en présence les uns des autres. L’inconvénient est qu’on risque d’y assister un peu en spectateur passif. Une prière unissant diverses religions est pour les fidèles de ces religions l’occasion de planifier, de préparer et de participer ensemble à cette prière commune. Certains estiment que cette formule risque de réduire la prière à son plus petit dénominateur commun et de priver chacune des religions représentées de sa spiritualité unique. D’autres la jugent impossible. Pour d’autres encore, ce peut être une occasion de s’enrichir spirituellement en priant ensemble. Ces réactions différentes indiquent que les chrétiens ont encore à faire avant de pouvoir débattre sereinement de cette question. Conclusion 34. Dans les nombreuses sociétés pluralistes de notre monde, c’est la vie qui oblige chrétiens et fidèles d’autres religions au dialogue, avec toutes ses difficultés mais aussi ses richesses et ses promesses. Ils en viennent ainsi à voir leur propre foi et celle des autres sous de nouveaux éclairages. Ils découvrent des richesses qui les aideront, les rendront plus humains et feront du monde un lieu plus propice à une coexistence harmonieuse. Ils apprennent à être plus réceptifs aux besoins et aux aspirations des autres et plus obéissants à la volonté de Dieu pour toute la création.
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