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Manifeste du Réseau Européen pour l'Après-Développement (READ) Serge Latouche Le courant de pensée qui se réfère à l'après-développement a jusqu'à ce jour gardé un caractère quasi-confidentiel. Il a pourtant au cours d'une histoire déjà longue, produit une littérature non négligeable et se trouve représenté dans plusieurs lieux de recherche et d'actions de par le monde[1]. Né dans les années 60, lors de la décennie du développement, d'une réflexion critique sur les présupposés de l'économie et sur l'échec des politiques de développement, ce courant regroupe des chercheurs et des acteurs sociaux du Nord comme du Sud porteurs d'analyses et d'expériences novatrices sur le plan économique, social et culturel. Au cours des années, des liens le plus souvent informels se sont tissés entre ses diverses composantes, les expériences et les réflexions s'alimentant mutuellement. Le réseau pour l'après-développement s'inscrit ainsi dans la mouvance de l'INCAD (Réseau international pour la construction d'une alternative au développement) et se reconnaît pleinement dans la déclaration du 4 mai 1992 (voir annexe). Il entend poursuivre et élargir le travail ainsi commencé. Le réseau met au centre de son analyse la remise en cause radicale de la notion de développement, qui, en dépit des évolutions formelles qu'elle a connues, reste le point de rupture décisif au sein du mouvement de critique du capitalisme et de la mondialisation. Il y a d'un coté ceux qui, comme nous, veulent sortir du développement et de l'économisme, et ceux qui militent pour un problématique "autre" développement (ou une non moins problèmatique "autre" mondialisation). A partir de cette critique, ce courant procède à une véritable "déconstruction" de la pensée économique. Sont ainsi remises causes les notions de croissance, de pauvreté, de besoins, d'aide, etc. Les associations et personnes membres du présent réseau se reconnaissent dans cette démarche. Après la faillite du socialisme réel et le glissement honteux de la social-démocratie vers le social-libéralisme, nous pensons que ces analyses sont seules susceptibles de contribuer à un renouveau de la pensée et à la construction d'une véritable société alternative à la société de marché et à la construire. Remettre radicalement en question le concept de développement c'est faire de la subversion cognitive, et celle-ci est le préalable et la condition de la subversion politique, sociale et culturelle. Le moment nous semble favorable pour sortir de la semi-clandestinité où nous avons été cantonnés jusqu'à présent et le grand succès du colloque de la Ligne d'horizon[2] "Défaire le développement-refaire le monde" qui s'est tenu à l'UNESCO des 28 février au 3 mars 2002 renforce notre conviction et nos espoirs. Casser l'imaginaire développementiste et décoloniser les esprits. Face à la mondialisation, qui n'est que le triomphe planétaire du tout-marché, il nous faut concevoir et vouloir une société dans laquelle les valeurs économiques ont cessé d'être centrales (ou uniques). L'économie doit être remise à sa place comme simple moyen de la vie humaine et non comme fin ultime. Il nous faut renoncer à cette course folle vers une consommation toujours accrue. Cela n'est pas seulement nécessaire pour éviter la destruction définitive des conditions de vie sur terre, mais aussi et surtout pour sortir l'humanité de la misère psychique et morale. Il s'agit là d'une véritable décolonisation de notre imaginaire et d'une déséconomicisation des esprits nécessaires pour changer vraiment le monde avant que le changement du monde ne nous y condamne dans la douleur. Il faut commencer par voir les choses autrement pour qu'elles puissent devenir autres, pour que l'on puisse concevoir des solutions vraiment originales et novatrices. Il s'agit de mettre au centre de la vie humaine d'autres significations et d'autres raisons d'être que l'expansion de la production et de la consommation. Le mot d'ordre du réseau est donc "résistance et dissidence". Résistance et dissidence avec la tête mais aussi avec les pieds. Résistance et dissidence comme attitude mentale de refus, comme hygiène de vie. Résistance et dissidence comme attitude concrète par toutes les formes d'auto-organisation alternative. Cela signifie aussi le refus de la complicité et de la collaboration avec cette entreprise de décervelage et de destruction planètaire que constitue l'idéologie développementiste. Mirages et ruines du développement. La mondialisation actuelle nous montre ce que le développement a été et que nous n'avons jamais voulu voir. Elle est le stade suprême du développement réellement existant en même temps que la négation de sa conception mythique. Si le développement, en effet, n'a été que la poursuite de la colonisation par d'autres moyens, la nouvelle mondialisation, à son tour, n'est que la poursuite du développement avec d'autres moyens. Il convient donc de distinguer le développement comme mythe du développement comme réalité historique. On peut définir le développement réellement existant comme une entreprise visant à transformer les rapports des hommes entre eux et avec la nature en marchandises. Il s'agit d'exploiter, de mettre en valeur, de tirer profit des ressources naturelles et humaines. Entreprise agressive envers la nature comme envers les peuples, elle est bien comme la colonisation qui la précède et la mondialisation qui la poursuit, une ouvre à la fois économique et militaire de domination et de conquête. C'est le développement réellement existant, celui qui domine la planète depuis trois siècles, qui engendre les problèmes sociaux et environnementaux actuels : exclusion, surpopulation, pauvreté, pollutions diverses, etc. Quant au concept mythique de développement, il est piégé dans un dilemme : soit il désigne tout et son contraire, en particulier l'ensemble des expériences historiques de dynamique culturelle de l'histoire de l'humanité, de la Chine des Han à l'empire de l'Inca. Dans ce cas, il ne désigne rien en particulier, il n'a aucune signification utile pour promouvoir une politique, et il vaut mieux s'en débarasser. Soit, il a un contenu propre. Ce contenu désigne alors nécessairement ce qu'il possède de commun avec l'aventure occidentale du décollage de l'économie telle qu'elle s'est mise en place depuis la révolution industrielle en Angleterre dans les années l750-1800. Dans ce cas, quel que soit l'adjectif qu'on lui accole, le contenu implicite ou explicite du développement est la croissance économique, l'accumulation du capital avec tous les effefs positifs et négatifs que l'on connaît. Or, ce noyau dur que tous les développements ont en commun avec cette expérience-là, est lié à des rapports sociaux bien particuliers qui sont ceux du mode de production capitaliste. Les antagonismes de "classes" sont largement occultés par la prégnance de "valeurs"communes largement partagées : le progrès, l'universalisme, la maîtrise de la nature, la rationalité quantifiante. Ces valeurs sur lesquelles reposent le développement, et tout particulièrement le progrès, ne correspondent pas du tout à des aspirations universelles profondes. Elles sont liées à l'histoire de l'Occident, elles recueillent peu d'écho dans les autres sociétés. En dehors des mythes qui la fondent, l'idée de développement est totalement dépourvue de sens et les pratiques qui lui sont liées sont rigoureusement impossibles parce qu'impensables et interdites. Aujourd'hui, ces valeurs occidentales sont précisément celles qu'il faut remettre en question pour trouver une solution aux problèmes du monde contemporain et éviter les catastrophes vers lesquelles l'économie mondiale nous entraîne. Le post-développement est tout à la fois post-capitalisme et post-modernité. Les habits neufs du développement Pour tenter de conjurer magiquement les effets négatifs de l'entreprise développementiste, on est entré dans l'ère des développements à particule. On a vu surgir des développements autocentrés, endogènes, participatifs, communautaires, intégrés, authentiques, autonomes et populaires, équitables... sans parler du développement local, du micro-développement, de l'endo-développement et même de l'ethno-développement ! En accolant un adjectif au concept de développement, il ne s'agit pas vraiment de remettre en question l'accumulation capitaliste, tout au plus songe-t-on à adjoindre un volet social ou une composante écologique à la croissance économique comme on a pu naguère lui ajouter une dimension culturelle. Ce travail de redéfinition du développement porte, en effet, toujours plus ou moins sur la culture, la nature et la justice sociale. Dans tout cela, il s'agit de guérir un mal qui atteindrait le développement de façon accidentelle et non congénitale. On a même créé pour l'occasion un monstre repoussoir : le mal-développement. Ce monstre n'est qu'une chimère car le mal ne peut pas atteindre le développement pour la bonne raison que le développement imaginaire est par définition l'incarnation même du Bien. Le bon développement est un pléonasme parce que développement signifie bonne croissance, parce que la croissance, elle aussi, est un bien et qu'aucune force du mal ne peut prévaloir contre elle. C'est l'excès même des preuves de son caractère bénéfique qui révèle le mieux l'escroquerie du développement. Le développement social, le développement humain, le développement local et le développement durable ne sont ainsi que les dernières nées d'une longue suite d'innovations conceptuelles visant à faire entrer une part de rêve dans la dure réalité de la croissance économique. Si le développement survit encore à sa mort il le doit surtout à ses critiques ! En inaugurant l'ère du développement à particule (humain, social etc.), les humanistes canalisent les aspirations des victimes du développement pur et dur du Nord et du Sud en les instrumentalisant. Le développement durable est la plus belle réussite dans cet art du rajeunissement des vieilles lunes. Il illustre parfaitement le procédé d'euphémisation par adjectif. Le développement durable, soutenable ou supportable (sustainable), mis en scène à la conférence de Rio en Juin l992, est un tel bricolage conceptuel ; visant à changer les mots à défaut de changer les choses, il s'agit d'une monstruosité verbale par son antinomie mystificatrice. Mais en même temps par son succès universel, il témoigne de la domination de l'idéologie développementiste. Désormais, la question du développement ne concerne pas seulement les pays du Sud, mais tout aussi bien ceux du Nord. Si la rhétorique pure du développement avec la pratique liée de l'expertocratie volontariste ne fait plus recette, le complexe des croyances eschatologiques en une prospérité matérielle possible pour tous, et respectueuse de l'environnement qu'on peut définir comme "le développementisme", reste intact. Le "développementisme" manifeste la logique économique dans toute sa rigueur. Il n'y a pas de place dans ce paradigme pour le respect de la nature réclamé par les écologistes ni pour le respect de l'homme réclamé par les humanistes. Le développement réellement existant apparaît alors dans sa vérité, et le développement alternatif comme un mirage. Au delà du développement. Parler d'après-développement ce n'est pas seulement laisser
courir son imagination sur ce qui pourrait arriver en cas d'implosion
du système, faire de la politique fiction ou examiner un cas d'école.
C'est parler de la situation de ceux qui actuellement au Nord et au
Sud sont des exclus ou sont en passe de le devenir, de tous ceux donc
pour qui le développement est une injure et une injustice et qui sont
indubitablement les plus nombreux à la surface de la terre. L'après-développement
s'esquisse déjà autour de nous et s'annonce dans la diversité. L'après-développement,
en effet, est nécessairement pluriel. Il s'agit de la recherche de
modes d'épanouissement collectif dans lesquels ne serait pas
privilégié un bien-être matériel destructeur de l'environnement et
du lien social. L'objectif de la bonne vie se décline de multiples
façons selon les contextes. En d'autres termes, il s'agit de
reconstruire de nouvelles cultures. Cet objectif peut s'appeler l'umran
(épanouissement) comme chez Ibn Kaldûn, swadeshi-sarvodaya (amélioration
des conditions sociales de Décroître et embellir La décroissance devrait être organisée non seulement pour préserver l'environnement mais aussi pour restaurer le minimum de justice sociale sans lequel la planète est condamnée à l'explosion. Survie sociale et survie biologique paraissent ainsi étroitement liées. Les limites du patrimoine naturel ne posent pas seulement un problème d'équité intergénérationnelle dans le partage des parts disponibles, mais un problème de juste répartition entre les membres actuellement vivants de l'humanité. La décroissance ne signifie pas un immobilisme conservateur. La plupart des sagesses considéraient que le bonheur se réalisait dans la satisfaction d'un nombre judicieusement limité de besoins. L'évolution et la croissance lente des sociétés anciennes s'intégraient dans une reproduction élargie bien tempérée, toujours adaptée aux contraintes naturelles. Aménager la décroissance signifie, en d'autres termes renoncer à l'imaginaire économique c'est-à-dire à la croyance que plus égale mieux. Le bien et le bonheur peuvent s'accomplir à moindre frais. Redécouvrir la vraie richesse dans l'épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain peut se réaliser avec sérénité dans la frugalité, la sobriété voire une certaine austérité dans la consommation matérielle. Le mot d'ordre de décroissance a surtout pour objet de marquer fortement l'abandon de l'objectif insensé de la croissance pour la croissance. Bien évidemment, il ne vise pas au renversement caricatural qui consisterait à proner la décroissance pour la décroissance. Nous ne renions pas notre appartenance à l'Occident dont nous partageons le rêve progressiste. Toutefois, nous aspirons à une amélioration de la qualité de vie et non à une croissance illimitée du P. I. B. Nous réclamons la beauté des villes et des paysages, la pureté des nappes phréatiques et l'accès à de l'eau potable, la transparence des rivières et la santé des océans. Nous exigeons une amélioration de l'air que nous respirons, de la saveur des aliments que nous mangeons. Il y a encore bien des progrès à faire pour lutter contre l'invasion du bruit, pour accroître les espaces verts, pour préserver la faune et la flore sauvage, pour sauver le patrimoine naturel et culturel de l'humanité, sans parler des progrès à faire dans la démocratie. La réalisation de ce programme participe pleinement de l'idéologie du progrès et suppose le recours à des techniques sophistiquées dont certaines sont encore à inventer. Il serait injuste de nous taxer de technophobes et d'antiprogressistes sous le seul prétexte que nous réclamons un "droit d'inventaire" sur le progrès et la technique. Cette revendication est un minimum pour l'exercice de la citoyenneté. Tout simplement, pour le Nord, la diminution de la pression excessive du mode de fonctionnement occidental sur la biosphère est une exigence de bon sens en même temps qu'une condition de la justice sociale et écologique. En ce qui concerne les pays du Sud, touchés de plein fouet par les conséquences négatives de la croissance du Nord, il s'agit moins de décroître (ou de croître, d'ailleurs) que de renouer le fil de leur histoire rompu par la colonisation, l'impérialisme et le néo-impérialisme militaire, politique, économique et culturel. La réappropriation de leur identité est un préalable pour apporter à leur problèmes les solutions appropriées. Il peut être judicieux de réduire la production de certaines cultures destinées à l'exportation (café, cacao, arachide, coton, mais aussi, fleurs coupées, crevettes d'élevage, légumes et agrumes de contre-saison, etc) comme il peut s'avérer nécessaire d'accroître celle des cultures vivrières. On peut songer aussi à renoncer à l'agriculture productiviste comme au Nord pour reconstituer les sols et les qualités nutritionnelles, mais aussi, sans doute, entreprendre des réformes agraires, réhabiliter l'artisanat réfugié dans l'informel etc. Il appartient à nos amis du Sud de préciser quel sens peut prendre pour eux la construction de l'après-développement. En aucun cas, la remise en cause du développement ne peut ni ne doit apparaître comme une entreprise paternaliste et universaliste qui l'assimilerait à une nouvelle forme de colonisation (écologiste, humanitaire...). Le risque est d'autant plus fort que les ex-colonisés ont interiorisé les valeurs du colonisateur. L'imaginaire économique, et tout particulièrement l'imaginaire développementiste, est sans doute encore plus prégnant au Sud qu'au Nord. Les victimes du développement ont tendance à ne voir d'autre remède à leur malheur que dans une aggravation du mal. Elles pensent que l'économie est le seul moyen de résoudre la pauvreté alors même que c'est elle qui l'engendre. Le développement et l'économie sont le problème et non la solution ; continuer à prétendre et vouloir le contraire participe aussi du problème. Une décroissance acceptée et bien pensée n'impose aucune limitation dans la dépense des sentiments et la production d'une vie festive, voire dionysiaque. Survivre localement. Il s'agit d'être attentif au repérage des innovations
alternatives : entreprises coopératives en autogestion, communautés
néo-rurales, Lets et Sels, autoorganisation des exclus au sud. Ces
expériences que nous entendons soutenir ou promouvoir nous
intéressent moins pour elles-mêmes que comme formes de résistance
et de dissidence au processus de montée en puissance de l'omnimarchandisation
du monde. Sans chercher à proposer un modèle unique, nous nous
efforçons de viser en théorie et en pratique une cohérence globale
de l'ensemble de ces initiatives. Le danger de la plupart des
initiatives alternatives est, en effet, de se cantonner dans
lecréneau qu'elles ont trouvé au départ au lieu de travailler à la
construction et au renforcement d'un ensemble plus vaste. L'entreprise
alternative vit ou survit dans un milieu qui est et doit être
différent du marché mondialisé. C'est ce milieu porteur dissident
qu'il faut définir, protéger, entretenir, renforcer et développer
par la résistance. Plutôt que de se battre désespérément pour
conserver son créneau au sein du marché mondial, il faut militer
pour élargir et approfondir une véritable société autonome en
marge de l'économie dominante. Le marché mondialisé avec sa
concurrence acharnée et le plus souvent déloyale n'est pas l'univers
où se meut et où doit se mouvoir l'organisation alternative. Elle
doit rechercher une véritable démocratie associative pour déboucher
sur une société autonome. Une chaîne de complicité doit lier
toutes les parties. Comme dans l'informel africain, nourrir le réseau
des "reliés" est la base de la réussite. L'élargissement
et l'approfondissement du tissu porteur est le secret de la réussite
et doit être le souci premier de ses initiatives. C'est cette
cohérence qui représente une véritable alternative au système Au
Nord, on pense d'abord aux projets volontaires et volontaristes de
construction de mondes différents. Des individus, refusant totalement
ou partiellement le monde dans lequel ils vivent, tentent de mettre en
oeuvre autre chose, de vivre autrement : de travailler ou de produire
autrement au sein d'entreprises différentes, de se réapproprier la
monnaie aussi pour un usage différent, selon un logique autre que
celle de l'accumulation illimitée et de l'exclusion massive des
perdants. Au Sud, où l'économie mondiale, avec l'aide des
institutions de Bretton Woods, a exclu des campagnes des millions et
des millions de personnes, a détruit leur mode de vie ancestrale,
supprimé leur moyens de subsistance, pour les jeter et agglutiner
dans les bidon-villes et les banlieues du Tiers-monde, l'alternative
est souvent une condition de la survie. Les "naufragés du
développement", les laissés pour compte, condamnés dans la
logique dominante à disparaître, n'ont d'autre choix pour surnager
que de s'organiser selon une autre logique. Ils doivent inventer, et
certains au moins inventent effectivement, un autre système, une
autre vie. Cette deuxième forme de l'autre société n'est pas
totalement séparée de la première, et cela pour deux raisons. D'abord,
parce que l'auto-organisation spontanée des exclus du Sud n'est pas,
n'est jamais, totalement spontanée. Il y a aussi des aspirations, des
projets, des modèles, voire des utopies qui informent plus ou moins
ces bricolages de la survie informelle. Ensuite, parce que,
symétriquement, les "alternatifs" du Nord n'ont pas
toujours le choix. Ce sont aussi souvent des exclus, des laissés pour
compte, chômeurs en fin de droits ou candidats potentiels au chômage,
ou plus simplement des exclus par dégout... Il y a donc des
passerelles entre les deux formes qui peuvent et doivent se féconder
mutuellement. Cette cohérence d'ensemble réalise d'un certaine
façon certains aspects que François Partant attribuait à sa
"centrale" : "Donner à des chômeurs, à des paysans
ruinés et à toute personne le désirant, la possibilité de vivre de
leur travail, en produisant, à l'écart de l'économie de marché et
dans des conditions qu'ils déterminent eux-mêmes, ce dont ils
estiment avoir besoin" (La Ligne d'horizon, La découverte, Paris
1988, p. 206). Renforcer la construction de ces autres mondes
possibles passe par la prise de conscience de la signification
historique de ces initiatives. Nombreuses ont déjà été les
reconquêtes par les forces développementistes des entreprises
alternatives isolées et il serait dangereux de sous-estimer les
capacités de récupération du système. Pour contrer la manipulation
et le lavage de cerveau permanent auxquels nous sommes soumis, la
constitution d'un vaste réseau apparaît essentiel pour mener la
bataille du sens. Extraits de la déclaration de l'INCAD (International Network for
Cultural Alternatives to Development) : La fin du développement et le
travail de régénération. Orford, Quebec, Canada, 4 mai 1992. Sous
l'appellation de développement, la nature et les communautés
humaines subissent la défiguration, l'extinction, la mort. (...) L'enjeu
aujourd'hui n'est ni une crise de gestion, ni une réforme, ni une
restauration des cultures et de la nature abîmées, pas plus qu'un
simple revivalisme... Nous avons besoin d'une mutation qui puisse
engager un profond réveil par la mise en oeuvre d'un désarmement
culturel et d'une fin du développement lui-même ; Nous devrons
ensuite nous engager concrètement pour une restauration de la nature
et des cultures. (...). En conséquence, nous appelons à une fin du
développement ; nous invitons les peuples du monde à engager le
travail de reconstruction, réharmonisation, régénération, après
le passage de la tempête. Cela peut signifier la création de groupes
de régénération capables d'associer avec imagination des éléments
de la modernité à des survivances de la tradition. Nous croyons que
le moment est venu de reconnaître radicalement le pluralisme de notre
monde et que nous devons nous engager dans un large processus de
régénération culturelle avec la conviction qu'il ne peut y avoir
aucun critère universel pour le conduire. (...) A titre d'exemple
nous pouvons identifier les buts suivants comme autant de premiers pas
à faire : 1 - Effacer progressivement (à raison de 20% l'an) toutes
les dettes des pays du Sud engagées pour des projets de
développement 2 - Réduire le revenu par tête dans les pays du Nord
à leur niveau de 1960 3 - Stopper par des moyens adéquats l'utilisation
illimitée du pétrole 4 - Réduire la quantité d'électricité
utilisée à une vitesse qui permette d'annuler tous les projets de
centrales nucléaires à échéance de dix ans 5 - Déconstruire le
modèle global d'éducation qui encourage et soutient les
états-nations et leur développement : remettre en vigueur les
systèmes d'éducation pratiqués par les communautés locales en
harmonie avec leur environnement culturel et naturel, ce qui permettra
de soutenir le bon niveau de ces communautés 6 - Engager une campagne
massive de programmes pour une autre éducation dans le Nord comme
dans le Sud à l'intention des élites socio-professionnelles à
propos de la perversité du développement ; cela consistera à
travailler sur les sujets suivants : [1]Le numéro spécial de la revue l'écologiste "défaire le développement refaire le monde"(N° 6 vol 2 N°4 hivers 2001-2002), fait le point sur la question. [2] La Ligne d'horizon. Les Amis de François Partant. 7 villa Bourgeois 92240 Malakoff. |
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